Le géant Facebook a annoncé qu’il interdit sur ses différentes plateformes tous les contenus liés aux talibans en Afghanistan. Cette décision intervient quelques jours seulement après l’offensive rapide menée par ces combattants pour reprendre le pouvoir sur l’ensemble du pays. Si certaines organisations saluent ce positionnement de la société de Mark Zuckerberg, cela remet au cœur du débat la légitimité des géants technologiques quant au contrôle de la liberté d’expression sur leurs différentes plateformes de réseaux sociaux.
Pas de talibans sur Facebook, Instagram ou Whatsapp
Vingt ans après avoir été chassés du pouvoir par la coalition internationale menée par les États-Unis, les talibans ont repris le contrôle de l’Afghanistan. Au terme d’une guerre éclair, ils ont pris le pouvoir à Kaboul et mènent également une opération de charme auprès de l’opinion internationale. Si cette communication passe par les milieux diplomatiques, avec notamment le soutien de pays comme la Chine et la Russie, ou les conférences de presse plus classiques, les talibans utilisent également les réseaux sociaux. Et c’est cette dernière option que Facebook a l’intention d’empêcher.
Juste après la prise de la capitale Kaboul, la société a supprimé les comptes utilisés par les membres du mouvement pour assurer la propagande de l’organisation. Mais Facebook veut aller plus loin et se donne les moyens de ses ambitions. Elle compte repérer et supprimer tous les messages de ceux et celles qui font l’apologie des talibans ou se présentent comme soutiens de l’organisation. Pour y arriver, Facebook a indiqué la mise en place d’une équipe de spécialistes afghans. Ces experts parlent les principales langues du pays à savoir le pachto et le dari, et maîtrisent en plus l’environnement local. Cela aidera plus facilement Facebook à identifier les différents contenus à réprimer.
Pour rappel, l’interdiction des talibans des plateformes Facebook ne date pas d’aujourd’hui. Elle date de plusieurs années et prend seulement de l’ampleur à cause du retour au pouvoir de l’organisation. « Les talibans sont sanctionnés en tant qu’organisation terroriste en vertu de la loi américaine et nous les avons interdits de nos services en vertu de nos politiques sur les organisations dangereuses », a expliqué un porte-parole de Facebook à la BBC.
Néanmoins, les méthodes de censure mises en place par la société de Mark Zuckerberg ne sont pas parfaites. Si la suppression des contenus visés est plus ou moins facile sur Facebook et Instagram, la tâche se complique quand il s’agit de l’application de messagerie Whatsapp. Les messages sur cette plateforme sont en effet protégés grâce à un chiffrement de bout en bout, ce qui empêche la société d’y avoir accès. La seule possibilité restante est de bloquer les comptes des utilisateurs identifiés comme membres ou proches des talibans.
Twitter reste ouvert… pour le moment
Sur le réseau à l’oiseau bleu de Jack Dorsey, les talibans ont encore droit de cité. Leurs différents porte-parole postent chaque jour des messages et des vidéos sur la plateforme et comptent des centaines de milliers d’abonnés. Ils utilisent notamment Twitter pour communiquer sur l’évolution de la situation en Afghanistan, comme quand Zabihullah Mujahid a informé le 16 août ses abonnés que « la situation à Kaboul est sous contrôle ».
C’était au lendemain de la prise de contrôle de la capitale par les talibans. Cependant, cette liberté d’expression des militants de l’organisation islamiste sur Twitter est critiquée. C’est le cas de l’un des élus de la chambre des représentants aux États-Unis, Madison Cawthorn, qui s’est fendu le 15 août d’un tweet assez virulent envers Twitter.
« Pourquoi, sur cette terre, le porte-parole des talibans a-t-il un compte Twitter actif, mais pas l’ancien président des États-Unis ? De quel côté sont les entreprises américaines de la Big-Tech ? », a déclaré le républicain.
L’entreprise de Jack Dorsey a tenté de se justifier en expliquant que sa plateforme aide les Afghans qui cherchent à fuir leur pays. Selon l’un des porte-parole de Twitter, la plateforme est également utile pour aider « les gens dans le pays [qui utilisent] Twitter pour demander de l’aide et de l’assistance ». L’entreprise maintiendra néanmoins ses règles concernant le contenu sensible et la lutte « contre glorification de la violence, la manipulation de la plateforme et le spam », ce qui signifie que les sanctions classiques s’appliqueront également aux talibans, mais sans plus. De son côté, YouTube n’a pas encore réagi officiellement par rapport à sa politique vis-à-vis des talibans.
Un compromis difficile pour les géants des réseaux sociaux
Depuis la suppression du compte Twitter de l’ancien président américain Donald Trump, les géants des réseaux sociaux n’ont jamais été aussi critiqués. Le tollé provoqué s’explique aussi par le fait que l’interdiction a touché le républicain quand il dirigeait encore les États-Unis. Si Twitter ne compte pas vraiment revenir sur ce bannissement, Facebook a confirmé en juin dernier que l’interdiction du président Trump sera maintenue jusqu’en janvier 2023 au moins.
Pour plusieurs membres de la classe politique outre-Atlantique, mais aussi en Europe, les réseaux sociaux ne devraient pas avoir le droit de décider qui a le droit à la parole et qui devrait être interdit de s’exprimer. Et avec la nouvelle censure qui frappe les talibans, le débat est plus que jamais d’actualité, d’autant plus que le compte Instagram du chroniqueur et polémiste français Éric Zemmour a été supprimé cette semaine. En Afrique, notons la suppression il y a quelques mois de certains tweets du président nigérian Muhammadu Buhari. Cela a conduit le gouvernement de ce pays à suspendre le fonctionnement de Twitter dans le pays.
« Le danger de tout ça, c’est que nous tous, entreprises, hommes politiques, organisations, etc., on utilise beaucoup ces différents réseaux. Mais comme ces outils appartiennent à des acteurs économiques motivés par l’argent, ces gens décident un jour si vous avez le droit d’y être ou ne pas y être », explique Benoît de Saint-Sernin, directeur général de l’École européenne de l’intelligence économique de Versailles.
Pour rappel, les restrictions sur certaines publications sur les réseaux sociaux ne datent pas d’aujourd’hui. Elles concernaient au début les propos violents et discriminatoires, notamment les propos racistes. Cependant, l’extension de ces mesures de censure aux hommes politiques pose problème pour beaucoup. Quand il s’agit de médias classiques ou de la prise de parole dans l’espace public, on peut toujours compter sur les juridictions compétentes pour dire le droit. Mais avec les géants du numérique, la situation est davantage compliquée et plusieurs appellent à un cadre réglementaire destiné à contrôler comment les réseaux sociaux contrôlent les messages sur leurs plateformes. Les talibans n’ont d’ailleurs pas manqué de soulever le problème quand ils ont été interrogés sur la liberté d’expression sous leur régime.
« Cette question devrait être posée aux personnes qui prétendent être des promoteurs de la liberté d’expression, qui ne permettent pas la publication de toutes les informations […] Cette question devrait être posée à Facebook », a déclaré Zabihullah Mujahid.