Réunis à Venise en Italie pour leur première rencontre en présentiel depuis février 2020, les ministres des Finances du groupe des vingt plus riches pays du monde (G20) ont annoncé un accord historique. Il s’agit de l’adoption d’un impôt uniforme pour toutes les multinationales dans le monde, afin de lutter contre les paradis fiscaux et faire davantage participer ces grands groupes au développement des pays où ils génèrent des bénéfices. Cette nouvelle réforme fiscale internationale devrait avoir des effets sur les GAFA.
Accord historique
Historique. C’est l’adjectif qui revient quand les gouvernants évoquent l’accord conclu dans la Cité des Doges le week-end dernier. C’est en effet la première fois qu’autant de pays, et surtout autant de pays puissants, s’unissent pour taxer de façon harmonisée et unique les multinationales. Cette taxe sera de 15% au moins sur les bénéfices de ces entreprises et permettra de bâtir une « architecture fiscale internationale plus stable et plus équitable ». Pour y arriver, le G20 a ainsi pu compter sur ses membres, mais aussi sur le soutien de 101 autres pays sur les 139 que compte le groupe de travail OCDE-G20.
Il faut dire que, pendant longtemps, la diversité des législations fiscales a encouragé les entreprises ayant des activités dans plusieurs pays à choisir la juridiction la plus attractive. Par attractive, il faut comprendre celle qui impose les plus faibles niveaux d’imposition, même si l’entreprise n’y fait pas l’essentiel, ou quasiment pas de chiffre d’affaires. Par exemple, plusieurs entreprises, dont les GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft), font transiter leurs bénéfices vers des paradis fiscaux comme les Bermudes en utilisant l’Irlande, car ce pays insulaire d’Europe de l’Ouest ne considère pas les transferts de fonds dans le calcul de l’impôt sur les sociétés. Cela a même donné lieu à l’apparition d’une expression pour désigner ce phénomène : la doublette irlandaise. En 2019, elle a permis à Google de transférer 63 milliards d’euros de bénéfices vers les paradis fiscaux.
« Les géants du digital vont être réellement taxés alors qu’ils échappaient largement à l’impôt depuis des années. Concrètement, vous avez une multinationale qui fait des profits en France, qu’elle décide de délocaliser dans un pays où elle ne paie que 1, 2 ou 3% d’impôt sur les sociétés. Et bien elle devra payer la différence à la France », explique Bruno Le Maire.
Ces propos du ministre français des Finances rejoignent l’une des clauses clés de l’accord à savoir la réallocation d’une part de l’impôt sur les bénéfices payé par ces grands groupes vers les pays où ils mènent effectivement des activités génératrices de revenus. Sont visées les entreprises qui ont un taux de rentabilité supérieure à 10% et un chiffre d’affaires qui dépasse 20 milliards d’euros. Pour mettre en œuvre cet accord, les ministres des Finances appellent à présenter « un plan détaillé » d’ici la prochaine réunion du G20 en octobre 2021.
Un travail de longue haleine
L’accord conclu à Venise n’est qu’une partie émergée du long processus, pas encore achevé, qui a conduit les pays à ce tournant sans doute décisif dans la fiscalité internationale. L’idée d’une taxation commune des multinationales n’est en effet pas nouvelle, mais elle a toujours connu plusieurs obstacles. L’un d’eux concerne l’ancien président américain Donald Trump. Partisan de l’America First et d’un certain isolationnisme dans les relations internationales, le républicain a torpillé, au cours de sa présidence, l’adoption d’une telle mesure.
Son successeur, le démocrate Joe Biden a pris le contre-pied de cette position sur différents sujets allant de la gestion de la pandémie à la sécurité. Cela a donc logiquement débouché sur une volonté politique plus forte, d’autant plus que la pandémie a mis à nouveau en évidence la nécessité d’un impôt commun. Alors que la pandémie a fait chuter les revenus des États et accru leurs dépenses, certaines multinationales, avec en tête les GAFAM, ont enregistré des revenus record l’année dernière, mais ont payé peu d’impôts grâce à l’optimisation fiscale.
Lors du G7 ouvert à Londres début juin, les ministres des Finances des différents pays qui constituent ce groupe se sont donc entendus pour adopter cette fiscalité internationale commune. Les chefs d’État du G7 ont ensuite ratifié l’accord et, avec la volonté politique ainsi affichée, cette réforme pourrait permettre de mobiliser 275 milliards de dollars supplémentaires en recettes fiscales dans le monde, dont 60% iraient aux pays membres de l’OCDE. Ces derniers avaient d’ailleurs publié le 1er juillet une déclaration commune pour manifester leur engouement. Janet Yellen, secrétaire au Trésor américain, a évoqué un « jour historique pour la diplomatie économique », alors que son homologue français a salué « l'accord fiscal international le plus important conclu depuis un siècle ».
Il reste néanmoins quelques obstacles à franchir. C’est pourquoi les ministres des Finances du G20 ont appelé les pays qui n’ont pas signé l’accord de Venise à les rejoindre très vite. Il s’agit entre autres de la Hongrie, de l’Estonie ou de l’Irlande qui pratique depuis 2003 un taux d’imposition de 12,5% très favorable aux multinationales. En cas d’accord définitif, la réforme devrait être mise en place en 2023.
Quelles conséquences pour les GAFAM ?
Pour les multinationales du numérique, en l’occurrence les GAFAM, la fiscalité internationale risque d'accroître la part des bénéfices versée comme impôts aux États. Plusieurs pays considérés comme favorables à l’optimisation fiscale, les Pays-Bas par exemple dans l’Union européenne, sont signataires de l’accord. Ces géants ne pourront donc plus utiliser ces pays comme paradis fiscaux, puisqu’il faudra quand même payer la différence aux autres États. Cela peut dissuader à moyen et long terme les multinationales de vouloir à tout prix avoir un siège social dans un pays à la fiscalité accommodante.
Néanmoins, si la mesure a de bons effets pour les États, les GAFAM peuvent rapidement imaginer des moyens de la contourner. L’imagination débordante et l’intelligence des comptables seront certainement mises à contribution par ces géants de la technologie pour les aider à toujours payer moins. Alors que les contours de la réforme continueront d’être discutés pendant plusieurs mois avant leur application effective, cela laisse en effet tout le temps aux spécialistes de l’optimisation fiscale pour trouver les moyens de la contourner, au grand dam des États. De plus, l’impôt de 15%, même si elle est effective, représentera tout de même une part dérisoire des bénéfices de ces géants et le jeu de la concurrence entre les différentes juridictions fiscales ne favorisera pas l’augmentation de ce taux voulu pourtant comme « minimum ». Il faut enfin rappeler que certains marchés émergents comme l’Afrique risquent de ne pas percevoir les effets positifs de cette nouvelle taxation.