Politiques de réduction des émissions de carbone, avion hybride électrique ou encore à hydrogène, le transport aérien mondial est aussi concerné par la transition énergétique qui s’intensifie dans le monde. Au rang des constructeurs aéronautiques qui entendent prendre de l’avance figure le géant européen Airbus. En septembre 2020, la société basée à Blagnac en banlieue de Toulouse s’est donné pour objectif de lancer la construction d’un avion commercial à hydrogène, avant la fin de la décennie. Un point d’étape s’impose un an après.
Partenariat avec Plug Power
L’américain Plug Power, actif dans le développement de piles à combustible à hydrogène, a annoncé le 13 octobre la conclusion d’un nouveau partenariat en Europe. Après celui signé avec Renault, le groupe dirigé par Andrew J. Marsh s’associe au constructeur européen d’avions Airbus. L’objectif est d’examiner la faisabilité d’un approvisionnement en hydrogène vert pour les futurs avions et aéroports dans le monde entier.
D’un côté, Plug Power va étudier divers scénarios pour la mise en place d’infrastructures vertes alors que la société Airbus fournira des données sur les caractéristiques des avions à hydrogène. À cet effet, un aéroport situé aux États-Unis sera choisi pour servir d’« Hydrogen Hub » dans la région Amérique du Nord. Les essais sur ce site serviront potentiellement, apprend-on, à un déploiement à plus grande échelle de la technologie.
« Nous envisageons non seulement un avenir où les avions seront alimentés en hydrogène vert, mais aussi les aéroports qui les desservent, y compris les équipements de soutien au sol, les chariots élévateurs et les véhicules qui font la navette entre les aéroports et les portes d’embarquement », a commenté Andy Marsh, PDG de Plug Power.
Airbus et l’avion à hydrogène
Il faut souligner que ce partenariat prometteur avec Plug Power intervient plus d’un an après les annonces d’Airbus concernant ses prochains investissements dans l’avion à hydrogène. Le constructeur aérospatial a indiqué fin septembre 2020 le lancement de trois nouveaux concepts d’avion à hydrogène.
Le premier concept est un turboréacteur capable de transporter 120 à 200 passagers, avec des vols internationaux et transcontinentaux. L’avion pourrait en effet voler plus de 3 500 km, utilisant, à la place du kérosène, de l’hydrogène dans une turbine à gaz modifiée. Ce combustible liquide sera stocké et distribué à partir de réservoirs placés derrière la cloison étanche à l’arrière.
Le deuxième modèle imaginé par Airbus est un turbopropulseur de 100 passagers et il peut parcourir moins de distance. Idéal pour les vols court-courriers, l’engin devrait parcourir plus de 1 800 km avant que le carburant ne s’épuise.
Le dernier type d’avion à hydrogène imaginé par Airbus est un aéronef à fuselage intégré qui peut héberger jusqu’à 200 passagers. « Le fuselage exceptionnellement large offre de multiples possibilités pour le stockage et la distribution d’hydrogène, ainsi que pour l’aménagement de la cabine », indique la société. À la place du CO2 émis par la consommation du kérosène, ces avions du futur ne rejetteront dans l’atmosphère que de la vapeur d’eau.
Notons que le développement d’un avion à hydrogène fait partie des moyens mis en œuvre par le constructeur européen pour réduire son empreinte carbone. Avec 2 à 3 % des émissions mondiales de CO2, le secteur de l’aviation représente en effet un pollueur non négligeable à qui il est demandé de faire plus d’efforts. « Je suis convaincu que l’hydrogène, utilisé aussi bien dans les carburants synthétiques que comme source d’énergie primaire, peut permettre de réduire significativement l’impact climatique de l’aviation », avance Guillaume Faury, président exécutif d’Airbus, pour justifier le recours à cette option.
C’est sans doute pour traduire cet objectif que le projet d’avion à hydrogène est baptisé ZEROe, ce qui signifie zéro émission. Le constructeur se donne cinq ans pour mener les premiers travaux destinés à sélectionner le meilleur des trois concepts d’avions à hydrogène. Elle devrait procéder ensuite, au cours de l’année 2028, au démarrage de l’étape de prélancement du programme. La mise en service du modèle choisi interviendrait alors courant 2035. Il faut signaler que l’investissement total prévu pour ce projet est faramineux, 20 milliards d’euros, le double du capital nécessaire pour un projet classique.
« Ces concepts nous aideront à explorer et à mûrir la conception et l’aménagement du premier avion commercial au monde neutre sur le plan climatique et à zéro émission, que nous souhaitons mettre en service d’ici 2035 », ajoute M. Faury.
Des défis à relever
Si Airbus est confiant quant à sa capacité à livrer le premier avion à hydrogène d’ici 2035, il faut noter qu’elle doit encore surmonter plusieurs obstacles. Le patron de la société ne s’y est pas trompé en affirmant qu’il faut un « degré de certitude » à propos du cadre réglementaire et de la disponibilité à grande échelle du carburant d’ici 2027-2028. « Avec le soutien du gouvernement et de nos partenaires industriels, nous pouvons relever ce défi », assure-t-il néanmoins.
Entre autres défis, il faudra doter les aéroports à travers le monde des infrastructures adéquates pour le transport et le ravitaillement en hydrogène. Des investissements de plusieurs milliards sont donc nécessaires, surtout dans la recherche, car, comme l’affirme le professeur Yves Gourinat, expert en aérospatiale, « nous en sommes avec l’hydrogène où nous en étions avec l’essence au début de l’aviation ». Cela signifie qu’il faut encore beaucoup d’efforts pour que l’utilisation de l’hydrogène dans les avions devienne une réalité. En France, le gouvernement a annoncé l’année dernière une enveloppe de 7 milliards d’euros pour développer l’hydrogène dans l’Hexagone.
Où en est Boeing ?
Contrairement à son rival européen, l’américain Boeing ne fait pas de l’hydrogène le fer-de-lance de sa politique pour une aviation plus « verte ». C’est ce qu’a à nouveau précisé l’un de ses responsables lors d’une conférence de presse à Glasgow le 5 octobre dernier.
« Je pense que nous parlons tous deux des mêmes choses, peut-être qu’ils mettent un peu plus l’accent sur l’hydrogène et nous sur la SAF », affirme Chris Raymond, directeur du développement durable chez Boeing.
Le constructeur basé à Chicago dans l’Illinois compte plutôt sur les carburants d’aviation durables ou « sustainable aviation fuels » (SAF). Ils sont issus de la biomasse, peuvent être produits grâce aux huiles végétales, à de la graisse d’animal ou à l’huile de cuisson et ont potentiellement la capacité de réduire de 80 % les émissions de CO2, si on les compare au kérosène. Alors que la technologie de l’hydrogène nécessite de repenser l’avion et les infrastructures, les SAF ont l’avantage de ne pas nécessiter de grands changements.
« Ce n’est plus une question technologique, ce n’est même plus une question de certification de sécurité, et la raison pour laquelle l’industrie l’apprécie est qu’elle a le moins d’impact sur l’infrastructure actuelle. La question qui se pose maintenant est de savoir comment la mettre à l’échelle et résoudre la question économique », explique M. Raymond.