Cette semaine, l’Union européenne et les États-Unis ont fait un pas décisif vers la fin d’un conflit qui les oppose depuis 17 ans. Il s’agit du dossier des aides publiques illégales versées aux géants Airbus et Boeing, respectivement par l’Europe et les États-Unis. Si les années Trump ont creusé le fossé entre les deux alliés historiques, l’heure semble désormais à la détente, ce qui pourrait bien profiter aux deux compagnies, fleurons américain et européen de l’aéronautique.
Le contexte
Le nouvel accord annoncé mardi 15 juin est destiné à régler une situation qui dure depuis deux ans, en plein mandat de Donald Trump, mais ne profitait à aucune des deux parties. Dans sa volonté de toujours privilégier les États-Unis, l’ancien président américain avait décidé de s’attaquer sérieusement à un différend qui oppose son pays à l’Europe depuis 2004, devant l’Organisation mondiale du commerce (OMC).
C’est d’ailleurs la plus longue bataille juridique devant cette institution internationale créée en 1995 par les Accords de Marrakech. Il faut dire que le différend porte sur des enjeux économiques de taille, à savoir notamment la domination du marché mondial des avions. Les États-Unis accusent ainsi les pays européens d’accorder des subventions à Airbus, pour l’aider à surpasser son rival américain Boeing.
Des pertes communes qui devaient s’arrêter…
En octobre 2019 donc, l’OMC a permis à Washington d’imposer des taxes sur près de 7,5 milliards $ (6,8 milliards d’euros) de biens et services exportés par l’UE vers les États-Unis, afin de lutter contre cette stratégie. L’exécutif américain ne s’est pas privé d’utiliser ce levier pour faire mal à divers producteurs européens et tenter de faire plier Bruxelles.
Si les avions Airbus sont soumis à une taxe de 15 %, le principal secteur touché reste celui de l’œnologie **et des alcools. Les vins français ont ainsi subi une taxe de 25 %, alors qu’il s’agit d’un produit très prisé aux États-Unis, premier pays d’exportation du vin français d’ailleurs. Les vins des autres pays européens n’ont pas été épargnés, notamment ceux de l’Allemagne et de l’Espagne, alors que les whiskys anglais ont été aussi frappés par les taxes. Les produits agroalimentaires et de luxe (vêtements, sacs) ont aussi été évoqués comme potentielles cibles.
Face à cette vague d’obstacles financiers aux exportations européennes, les pays du vieux continent ne sont pas restés longtemps inactifs. Ils ne se sont pas non plus posé trop de questions sur les moyens d’y répondre, décidant en effet d’appliquer la réciproque des sanctions américaines aux produits made in USA vendus en Europe.
Si la réponse de Bruxelles a un peu tardé à cause de la pandémie de Covid-19, les autorités ont décidé le 9 novembre 2020 d’appliquer de nouveaux droits de douane estimés à 4 milliards de dollars (3,3 milliards d’euros). Évidemment, tous les modèles d’avions de Boeing font partie des biens importés visés avec une taxe de 15 % analogue à celle fixée par les États-Unis.
Mais l’Europe s’attaque surtout aux produits agricoles, agroalimentaires ou articles manufacturés **américains. Citons entre autres la patate douce, le tabac, le blé, les huiles végétales, les alcools forts, du chocolat, des équipements de chantier ou des articles plus banals comme des pièces de vélos.
Détente avec l’élection de Joe Biden
Si l’Europe a répliqué à Washington, il faut souligner que le continent n’a pas fermé la porte au dialogue. « Nous aurions été très heureux si une solution amicale avait été trouvée avant l’élection américaine et nous restons prêts à initier à tout moment une solution négociée », explique en effet Peter Altmaier, ministre allemand de l’Économie, dans la foulée des sanctions.
Mais c’est surtout le changement d’administration, et d’idéologie, entraîné par l’arrivée au pouvoir de Joe Biden qui a facilité la signature de l’actuelle trêve entre les deux partenaires. Dans la droite ligne de sa volonté de renforcer la coopération sur tous les plans avec l’Europe, le président américain a discuté en marge du G7 avec la Commission européenne.
« La réunion a commencé par une percée sur les avions […]. Nous avions décidé conjointement de résoudre cette dispute. Aujourd’hui, on a tenu promesse », souligne Ursula von der Leyen, présidente de la Commission, qui se réjouit de passer « d’un contentieux à une coopération sur l’aéronautique, après 17 ans de dispute ».
Une trêve de cinq ans a été conclue entre les deux parties qui s’engagent donc sur cette période à ne pas imposer de taxes punitives liées à la situation des deux géants de l’aéronautique. Pendant ce temps, Bruxelles et Washington travailleront de concert sur la meilleure manière de soutenir leur fleuron respectif sans empiéter sur la libre concurrence et les règles qui régissent les relations économiques internationales. Par ailleurs, les alliés veulent présenter un front uni face à un troisième adversaire de taille : les compagnies chinoises. Pékin est en effet accusé d’utiliser les mêmes leviers que les États-Unis, mais à un niveau beaucoup plus important.
« Au lieu de combattre l’un de nos plus proches alliés, nous nous retrouvons finalement ensemble face à une menace commune », explique Katerine Tai, Représentante du gouvernement des États-Unis au Commerce.
Notons que le Royaume-Uni a rejoint la danse deux jours plus tard, soit le 17 juin. Puisque le pays n’est plus membre de l’UE, elle a dû signer un accord séparé avec les États-Unis, mais dont les termes restent les mêmes que ceux de l’accord conclu avec l’UE. Ainsi, la période de trêve est maintenue à cinq ans et les produits du royaume, notamment le fameux whisky écossais, ne seront plus victimes de droits de douane arbitraires.
Airbus, Boeing : gagner ensemble
L’un des grands avantages que les deux constructeurs peuvent tirer de la fin de la guerre commerciale opposant États-Unis et Europe réside dans la possibilité de recevoir désormais le soutien de leurs États sans faire grincer des dents. En effet, la pandémie de Covid-19 a largement affecté les deux sociétés, car avec les pertes accumulées par les compagnies aériennes, le marché est en perte de vitesse.
Comme leurs clients, Boeing et Airbus ont donc besoin de fonds pour ne pas se retrouver dans des situations financières dramatiques, qui pourraient même affecter les économies européenne et américaine. De plus, avec les appels à la lutte contre le réchauffement climatique par le biais de la réduction des émissions de gaz à effet de serre des transports aériens, les deux constructeurs doivent investir urgemment des fonds dans les avions du futur. Or, il faut de l’innovation et des millions de dollars à investir dans la recherche pour y arriver. Entre paix profitable à tous et guerre inutile, le choix a été fait.