Dans la nuit du mardi 23 au mercredi 24 mars, un navire battant pavillon panaméen en provenance du port chinois de Yantian pour rejoindre Rotterdam aux Pays-Bas, s’est échoué dans le canal de Suez en Égypte. Il bloque depuis lors le passage du bras de mer et, si la suspension « temporaire » de la navigation se poursuit, cela risque d’affecter le commerce mondial et les prix de produits comme le pétrole brut, car une part importante du trafic mondial de marchandises emprunte cette voie.
Un incident qui risque de durer plusieurs semaines
Des conditions météorologiques difficiles marquées par de violents coups de vent, un navire au milieu d’une voie maritime cruciale et voilà l’économie mondiale en danger ! Baptisé MV Ever Given, le bâtiment à l’origine du blocage du canal de Suez est un géant porte-conteneurs mesurant environ 400 mètres. Cela correspond à la longueur de quatre terrains de football et, de plus, il pèse 220 000 tonnes. L’envergure et le poids du navire sont les principales raisons qui expliquent la difficulté qu’il y a à le remettre à flot afin de l’extraire du canal de Suez.
Dans un communiqué publié jeudi, la société japonaise Shoei Kisen Kaisha, propriétaire du navire, a ainsi tenu à rappeler le caractère extrêmement difficile de la situation. Selon plusieurs experts, les équipes mobilisées actuellement ne devraient même pas suffire pour gérer la situation. Si la compétence des gestionnaires du canal n’est pas en cause, il faudra bien plus que les remorqueurs et dragueurs qui tentent de renflouer le bateau, car la marée est aussi un élément à prendre en compte.
Les grandes marées sont attendues pour la semaine prochaine, le lundi 29 et le mardi 30 mars, à l’occasion de l’équinoxe. Si le renflouement n’a pas lieu à ce moment-là, il faudra sans doute attendre plusieurs jours ou semaines supplémentaires. Pendant ce temps, les dizaines de navires se trouvant au niveau des deux extrémités du bras de mer vont devoir attendre, bientôt rejoints par d’autres bâtiments qui partent d’Europe et d’Asie.
L’importance stratégique du canal de Suez
Le canal de Suez relie la mer Méditerranée à la mer Rouge. Il sert donc de route commerciale entre l’Asie et l’Europe, permettant chaque année à des milliers de navires de faire rapidement la navette entre les deux continents. Sans cette voie maritime, ces bâtiments seraient en effet obligés de contourner l’Afrique en passant par le cap de Bonne Espérance, soit une distance beaucoup plus longue.
Le canal de Suez s’étend sur plus de 193 km et voit passer annuellement 1,1 milliard de tonnes de marchandises, ce qui représente 10% du commerce mondial. Par ailleurs, c’est 30% des conteneurs de marchandises qui passent par cette voie chaque année. Par exemple, l’Europe dépend largement des pays asiatiques, la Chine en tête, divers produits manufacturés, allant des aliments aux biens industriels comme de simples pièces de voitures ou des éléments nécessaires à la construction. C’est donc l’approvisionnement de tout un continent qui connaîtra très certainement des retards dans les prochains jours.
« Si le trafic ne peut pas reprendre dans une semaine, ce sera horrible […] Nous verrons les tarifs de fret grimper à nouveau en flèche. Les produits sont retardés, les conteneurs ne peuvent pas retourner en Chine et nous ne pouvons pas livrer plus de marchandises », explique Mark Ma, propriétaire de Seabay International Freight Forwarding Ltd, une entreprise travaillant notamment avec Amazon.
Pour avoir une idée de l’importance du canal, il faut aussi se rappeler qu’elle a déjà été l’objet d’une guerre internationale éclair en 1956. Suite à la nationalisation du canal de Suez par le président égyptien Gamal Abdel Nasser et alors même que le trafic se poursuivait, le Royaume-Uni, la France et Israël s’étaient unis pour attaquer le pays d’Afrique du Nord, ne se retirant qu’après avoir obtenu certaines concessions économiques.
À l’époque, le pétrole utilisé par ces pays provenait essentiellement d’Arabie Saoudite et transitait donc par le canal de Suez. Aujourd’hui, l’Europe est moins dépendante de l’or noir saoudien, mais ce n’est pas pour autant que les cours du produit ne seront pas affectés.
Quid de l’impact sur les prix du brut ?
Au lendemain de l’annonce de l’interruption de la navigation dans le canal de Suez, le prix du pétrole brut a connu une hausse à la bourse mercredi. Le baril de Brent, qui sert de référence sur le marché mondial, est passé rapidement de 60,5 $ à 64,57 $, soit une hausse de plus de 6%. Il faut préciser que la situation en Égypte n’est pas la seule explication à l’amélioration des prix.
En effet, le 24 mars, l’Energy Information Administration (EIA) américaine indiquait par exemple une hausse moins importante que prévu des stocks de brut aux États-Unis, à 1,9 million de barils. Pour le moment donc, les hausses des prix du baril seraient davantage la conséquence des spéculations de certains négociants sur la durée de l’interruption. C’est l’hypothèse avancée par certains analystes comme Edward Moya, travaillant chez Oanda.
L’incident dans le canal impacte peu le prix du brent pour le moment.
La situation peut rapidement évoluer si le trafic ne reprend pas assez vite dans le canal. Un temps plus long retarderait en effet l’acheminement du brut, ne permettant pas par exemple la reconstitution des stocks ou le fonctionnement de certaines usines, ce qui entraînerait une hausse des prix. Néanmoins, la pandémie ayant réduit les niveaux de la demande et l’économie mondiale n’étant qu’en phase de reprise, il y a peu de chances qu’on assiste à un boom des prix des produits pétroliers.
Des alternatives pour “contourner” le blocage de Suez
Le canal de Suez a été percé entre 1859 et 1869 sous l’initiative et la direction du diplomate français Ferdinand de Lesseps. Avec le développement du commerce mondial, il est devenu une voie de passage privilégiée, comme le canal de Panama. Cependant, les navires peuvent toujours rejoindre l’Asie sans passer par l’Égypte. Seulement cela devrait couter une semaine de voyage en plus et donc une augmentation des frais de transport des marchandises et du prix final des produits.
Malgré ces contraintes, le contournement de l’Afrique par le cap de Bonne Espérance risque de s’imposer rapidement pour plusieurs bâtiments. Selon des données relayées par Bloomberg, le nombre de navires attendant le passage du canal s’élevait à 240 jeudi, contre 186 la veille. Ne sachant pas quand est-ce que le canal sera encore praticable, au moins 7 navires transportant du gaz naturel liquéfié ont déjà choisi de passer par la pointe sud du continent. Leur nombre devrait augmenter dans les prochains jours.